diritto dell'Unione europea

De l’arrêt OMT à la crise de la dette grecque : la BCE au secours de la zone euro

Francesco Martucci, Université Panthéon-Assas (Centre de droit européen)

Le 16 juin 2015, la Cour de justice a rendu l’arrêt dit OMT dans lequel elle considère compatibles avec le traité es achats par la Banque centrale européenne (BCE) de titres de dette souveraine sur le marché secondaire (voir Susanna Cafaro). L’arrêt s’avère fondamental puisque ces achats constituent un des instruments de la BCE pour gérer la crise des dettes souveraines. Il est rendu quinze jours avant que la Grèce fasse défaut à l’égard du défaut, ce qui a provoqué la plus grave crise qu’a connu la zone euro depuis ses origines. Cette crise a finalement été surmontée grâce à un accord conclu au terme d’âpres négociations le 13 juillet 2015. Tout au long de cette crise, le rôle de la BCE dans la zone euro s’avère déterminant.

« Whatever it takes »

Au cours de l’été 2012, la crise des dettes souveraines frappe l’Espagne et l’Italie. Le spread s’envole et ces deux États membres empruntent sur les marchés financiers à des taux de plus en plus prohibitifs. Le 6 août 2012, M. Draghi déclare : « Within our mandate, the ECB is ready to do whatever it takes to preserve the euro. And believe me, it will be enough ». Le 6 septembre 2012, le conseil des gouverneurs de la BCE présente le programme OMT dont les modalités sont explicitées par un communiqué de presse. Il s’agit d’acheter sur le marché secondaire des titres de dette souveraine émis par les États de la zone euro en proie à des difficultés. Contesté au sein même de l’Eurosystème par la Bundesbank, ce programme suscite l’émoi en Allemagne. Des recours sont engagés devant le Bundesverfassungsgericht par des citoyens estimant que le programme OMT méconnaît le droit de vote, garanti par la Loi fondamentale, puisqu’il engagerait les finances publiques allemandes. Si le juge constitutionnel allemand s’estime compétent, il considère que la constitutionnalité du programme OMT est en partie tributaire du respect par la BCE du traité FUE. C’est pourquoi une question préjudicielle en appréciation de validité est posée par le Bundesverfassungsgericht à la Cour de justice qui a statué le 16 juin 2015 (Gauweiler).

L’arrêt Gauweiler est paradoxal : la Cour de justice s’est prononcée sur la validité du programme OMT (Outright Monetary Transactions) alors que celui-ci n’a jamais été et ne sera jamais mis en œuvre. Ainsi que Susanna Cafaro l’a souligné, cela n’était pas sans poser la question de la recevabilité du renvoi préjudiciel opéré par le Bundesverfassungsgericht. Il était difficilement envisageable que la Cour de justice ne réponde pas à la première question posée dans son histoire par le Tribunal constitutionnel allemand. Au-delà des considérations en opportunité, le Bundesverfassungsgericht a déployé dans l’arrêt de renvoi préjudiciel une argumentation juridique particulièrement étoffée. Il a allégué que le programme OMT ne respecte pas le droit primaire de l’Union. Cependant, conformément à la jurisprudence Fotofrost, seule la Cour de justice peut déclarer un acte de l’Union européenne invalide.

Que le programme OMT ait été abandonné ne signifie pas que l’arrêt du 16 juin 2015 soit une solution d’espèce dont l’intérêt pratique se serait évanoui. Le raisonnement de la Cour de justice peut au contraire être repris mutatis mutandis pour le quantitative easing qui comporte également des achats de titres de dette souveraine sur le marché secondaire. En substance, le juge allemand demandait si l’achat de titres de dette souveraine par la BCE ne constitue pas, d’une part, un acte ultra vires et, d’autre part, un financement monétaire. La Cour de justice considère que le programme OMT est compatible avec le droit de l’Union européenne. En premier lieu, l’achat de titres de dette souveraine constitue une mesure de politique monétaire: la BCE est donc compétente en vertu du traité FUE, dès lors qu’elle poursuit l’objectif principal de stabilité des prix, sans qu’un empiètement sur le domaine de compétence étatique en matière de politique économique ne soit à regretter. L’arrêt s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence Pringle. Encore faut-il que le principe de proportionnalité soit respecté, ce qui est le cas en l’espèce, estime la Cour au terme d’un contrôle limité à la motivation de l’acte et à l’erreur manifeste d’appréciation ; il est en effet logique que, dans un domaine aussi technique, la BCE dispose d’un large pouvoir d’appréciation. En second lieu, le rachat de titres de dette souveraine ne constitue pas un financement monétaire prohibé par l’article 123 TFUE. Celui-ci interdit à la BCE et aux banques centrales des États membres d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux autorités et aux organismes publics de l’Union et des États membres ainsi que d’acquérir directement, auprès d’eux, des instruments de leur dette. Afin de respecter cette interdiction dont l’objet est de contribuer à la discipline budgétaire des États membres, des conditions doivent être respectées. La Cour de justice, et c’est là un intérêt essentiel de l’arrêt, est de préciser ces conditions: 1) les titres de dette souveraine doivent être achetés sur le marché secondaire; 2) un délai minimal entre l’émission d’un titre sur le marché primaire et son rachat sur les marchés secondaires doit être respecté; 3) est proscrite toute annonce par avance de la décision de procéder à des rachats ou du volume des rachats envisagés. Pour la Cour, le programme OMT remplit ces conditions. Eu égard à ses caractéristiques, le quantitative easing nous semble compatible avec le droit de l’Union.

Toutefois, l’arrêt de la Cour de justice ne permet cependant pas de lever tous les doutes quant à la légalité des achats de titre de dette souveraine. Le Bundesverfassungsgericht fait peser une double menace. En premier lieu, dans l’arrêt ayant posé la question préjudicielle à la Cour dans l’affaire Gauweiler, il a soulevé une réserve de constitutionnalité : l’arrêt de la Cour de justice ne préjuge pas de la faculté du juge allemand de constater la violation par le programme OMT de l’identité constitutionnelle de la Bundesrepublik. Pour les uns, ce serait là une violation manifeste du principe de primauté tel que façonné par la jurisprudence Simmenthal ; pour les autres, ce serait l’expression du respect de l’identité nationale tel que consacré par l’article 4, paragraphe 2, TUE. En second lieu, un recours aurait été engagé devant le Bundesverfassungsgericht à l’encontre du quantitative easing. Les moyens avancés seraient analogues à ceux de l’affaire Gauweiler: acte ultra vires et violation du financement monétaire.

À peine l’arrêt Gauweiler rendu, la BCE a cependant été confrontée à un nouveau défi : le défaut de la Grèce.

« Bin doch nicht blöd »

La presse rapporte que c’est en ces termes que Wolfgang Schäuble s’est adressé à Mario Draghi, lorsque ce dernier, au cours de l’Eurogroupe du 12 juillet 2015, a expliqué les raisons de la crise. Ce serait d’ailleurs la raison pour laquelle l’Eurogroupe aurait prématurément pris fin. Nous ne reviendrons pas ici sur la crise grecque de l’été 2015. On rappelle uniquement que, le 1er juillet 2015, la Grèce a fait défaut à l’égard du FMI, ce qui a provoqué une nouvelle crise existentielle de la zone euro. À la suite de la victoire du non au référendum organisé par le gouvernement grec, se sont engagées des négociations particulièrement serrées et rudes au terme desquelles le sommet de la zone euro est parvenu à un accord le 13 juillet 2015. Quel rôle joue la BCE dans cette crise ?

La BCE fait partie de la troïka qui a été rebaptisée, depuis l’arrivée au pouvoir de M. Tsipras en Grèce, les «institutions». Celles-ci désignent le FMI, la BCE et la Commission européenne qui sont considérés, par un abus de langage juridiquement incorrect, comme les créanciers de la Grèce. Lorsque la crise des dettes souveraines a éclaté en 2010, la Grèce a bénéficié d’une assistance financière accordée par le FMI et la zone euro. Dans la zone euro, il convient de distinguer les prêts bilatéraux des États membres et les prêts accordés par le FESF (fonds européen de stabilité financière) auquel a succédé, le 1er juillet 2013, le MES (mécanisme européen de stabilité). Institution financière internationale établie par un traité conclu entre les États de la zone euro, le MES accorde une assistance financière avec la garantie de ses actionnaires qui ne sont autres que… les États de la zone euro. Conformément à l’article 136, paragraphe 3, TFUE, cette assistance financière requiert une stricte conditionnalité politique. Le conseil des gouverneurs du MES donne ainsi mandat à la Commission, en liaison étroite avec la BCE, pour négocier cette conditionnalité et en examiner la mise en œuvre. La conditionnalité est matérialisée par un protocole d’accord contenant les mesures de politique économique que la Grèce doit mettre en œuvre pour bénéficier de l’assistance financière. C’est donc là que l’on trouve les mesures dites d’ « austérité » que les uns fustigent, que les autres encensent ; il ne faut pas oublier que, dans la zone euro, l’austérité est, selon les États, une valeur à défendre ou une erreur à combattre.

En tant qu’ « institution » au sens de troïka, la BCE est demeurée en retrait, du moins est-ce publiquement la posture retenue. Elle s’est cantonnée à un rôle technique puisqu’elle assume la responsabilité de la gestion des opérations d’emprunt et de prêt au titre notamment du MES. Officiellement, on ne trouve guère de traces de l’implication de la BCE dans l’application mise en œuvre de la conditionnalité politique. M. Draghi a davantage laissé au FMI et à la Commission européenne cette tâche technique tout en jouant un rôle aussi actif que discret dans la gestion de la crise. En tout état de cause, les décisions relatives à l’octroi, la suspension ou la suppression de l’assistance financière du MES sont prises, juridiquement, par le conseil des gouverneurs du MES et, politiquement, par les États de la zone euro. C’est la raison pour laquelle l’Eurogroupe a joué un rôle déterminant tout au long de la crise grecque. Cela explique également qu’au moment le plus critique de la crise, le sommet de la zone euro a été réuni. Alors que l’Eurogroupe est composé des ministres des finances de la zone euro, le sommet de la zone euro regroupe les chefs d’État ou de gouvernement ; dans les deux formations, la BCE est invitée à participer aux débats. En tout état de cause, l’Eurogroupe et le sommet de la zone euro sont des enceintes informelles qui n’adoptent pas des actes juridiques.

La BCE est également créancière de la Grèce. En application du programme SMP lancé en 2010 (qui a été remplacé par le programme OMT), la BCE a acheté sur le marché secondaire des titres de dette émis par la Grèce. Des titres sont arrivés justement à maturité le 22 juillet 2015. Toutefois, la BCE ne dispose d’aucune prérogative particulière ; elle est au contraire un créancier comme les autres ; elle doit même l’être puisque, dans le cas contraire, un financement monétaire pourrait être caractérisé.

C’est finalement par un autre moyen que la BCE a joué un rôle décisif tout au long de la crise grecque. On peut même affirmer qu’elle a évité à la Grèce une crise de liquidité telle que, de facto, un Grexit serait devenu inéluctable, alors que, de jure, rien n’est prévu. En effet, la BCE a maintenu l’Emergency Liquidity Assistance (ELA) qui consiste à accorder aux établissements de crédit de la zone euro de la monnaie de banque centrale, non seulement au moyen des opérations de politique monétaire, mais aussi de manière exceptionnelle. L’ELA permet donc à la Banque de Grèce d’octroyer de monnaie de banque centrale aux établissements bancaires solvables qui sont confrontés à des difficultés temporaires de liquidité. Aussi longtemps que l’ELA a été maintenue, la Grèce a pu faire face à l’urgence ; lorsque le 3e plan d’aide a été accepté par le Parlement grec, la BCE a décidé de relever le niveau des liquidités. Alors qu’elle est fondée sur un cadre juridique quelque peu évanescent, l’ELA se révèle un instrument déterminant dans la gestion de la crise des dettes souveraines par la BCE. Avec la menace d’un arrêt de l’ELA en cas de défaut de la Grèce à l’égard de la BCE, celle-ci peut exercer une pression sur l’État ; quant à la fixation su niveau de la fourniture de liquidités, il est tout aussi déterminant. Les Grecs ont pu comprendre ce que signifierait concrètement un Grexit lié à un défaut de paiement. Il pèse sur la BCE une responsabilité de taille puisque, une fois que l’ELA aura pris fin, nul ne sait ce qui pourrait se passer si la Grèce venait à faire de nouveau défaut. Au-delà de la question politique et économique, des problèmes juridiques se posent puisque, déjà, des recours ont été introduits à l’encontre de décisions de la BCE relatives à l’ELA. A priori irrecevables à défaut de requérants individuellement et directement concernés au sens de l’article 263, alinéa 4, TFUE, ces recours ont peu de chances du fait d’un contrôle nécessairement restreint du juge.

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